Dimanche, un rêve

Nous entrons dans une salle immense, décorée finement de dorures complexes. De lourdes tentures de velours rouges dégoulinent d’un plafond lointain et viennent s'écraser sur les murs en vagues successives. Des chérubins souriants nous accueillent avec une expression heureuse sinon figée. Des vitraux de cristal frappés par un soleil généreux projettent des arcs-en-ciel sur notre peau à mesure que nous avançons et que nous nous dispersons pour poser nos tapis de sol et nos sacs.

Je m'installe sur mon tapis, et profite de mon sac pour y caler mon dos. Comme je ne sais pas quoi faire, je bois un peu d'eau et j’échauffe mes articulations en contemplant la réflexion de la pièce dans le marbre lisse du sol. Le temps passe et pourtant nous restons seuls. Personne n'a l'air de s'en préoccuper. L’atmosphère est légère et les gens discutent entre eux.

Une hôtesse arrive enfin. Le bleu royal de son tailleur la détache nettement du décor doré. Un petit chapeau en forme de barque s’enfonce dans ses cheveux strictement tressés. Ses talons blancs piquent le sol et produisent des cliquetis qui raisonnent étonnamment fort dans l’immense salle, même les conversations ne peuvent les couvrir. Lorsque les cliquetis se taisent, l'hôtesse nous indique que nous ne sommes pas dans la bonne salle. Je ne parviens pas à comprendre les consignes pour gagner la bonne salle, mais je me lève quand même pour suivre la silhouette de l'hôtesse qui s'éloigne déjà. Je me tourne pour inviter les autres à gagner la bonne salle, mais personne ne bouge. Lorsque je me retourne, la silhouette a disparut. Je me lance alors à sa poursuite. J'enchaine les couloirs et j'évite les escaliers parce que j'ai la conviction que je dois rester au même étage. J'enchaine les couloirs et le sentiment d’être perdu monte en moi. J'enchaine les couloirs et je découvre enfin quelqu'un.

Nonchalamment adossé à un mûr, une jambe pliée pour s’assoir sur son talon, le regard perdu dans des cheveux bruns descendant en bataille sur son front, se tient un homme. Son nez plein de caractère fend son visage, donnant l'impression que ses yeux en amandes sont peut-être trop espacés. Un bouc sommaire s'accroche à son menton, et une moustache à son nez. Il est grand, et son t-shirt sali de poussière et de cambouis laisse facilement deviner les traits de muscles dessinés par le travail. À l'aide d'un bout de bois, il retire la terre sous ses ongles.

Je m'approche pour lui demander mon chemin. Me regardant à peine il fait un geste en direction de l’entrée du couloir à sa gauche. Le couloir ne semble pas en bon état, surtout par rapport à ceux que je venais d’emprunter, il en est même inquiétant. Hélas, n’ayant pas d’autre piste, c'est dubitatif que je l'emprunte. Le saluant de la tête, je continue la poursuite. Dans un bordel d’outils et de matériaux, je m'arrête pourtant assez vite. Le couloir en travaux ne va guère loin et se termine en cul-de-sac mal éclairé. Rebroussant mon chemin, je croise l’homme qui me l’avait indiqué. Il me dépasse et dit qu’il va m’accompagner. Pas très rassuré, je le suis tout de même jusqu’au passage en construction où il me dit qu’il faut descendre. Effectivement, derrière une vieille machinerie, caché par un labyrinthe de tuyaux, je distingue un passage étroit, trop étroit pour que je puisse m’y glisser avec mes bagages. Il passe devant et s’engouffre dans le méandre de tuyaux, de boulons et de vapeur, jusqu’à ce que je ne puisse plus distinguer que ses yeux qui me regardent brillants lorsqu’il me dit simplement « Suis-moi », avant de disparaitre dans la pénombre.

Mon sac et mon tapis en main, j’hésite. Je regarde le passage puis je regarde en direction de l’entrée du couloir, et j’hésite. Des bruits de pas me parviennent. De plus en plus fort, de plus en plus nombreux, ils martèlent le sol avec une certaine fureur. J’écoute. Je ne distingue pas ce qui se dit, mais je sens une haine sourde s’emparer de l’espace. Un souffle fait frissonner mon échine et je baisse la tête pour regarder de nouveau mes bagages. J’hésite. Ils me semblent bien lourds pourtant. M’engouffrant dans l’enchevêtrement de tuyaux, je les abandonne pour suivre l’homme.

Ma main droite parcourt un mur de terre, froid et humide. J’avance dans le noir, prenant garde à poser un pied sûr au milieu des cailloux qui jonchent le sol et se dérobent. Une lueur enfin. La sortie sans doute. Le tunnel débouche sur une plateforme où je tiens à peine. Mes yeux s’habituant facilement à la lumière basse de la grotte, je jette un œil aux alentours. Des structures métalliques s’incrustent dans les parois, et tapissent un sol lointain. Sur une plateforme en contrebas il y a une sorte d’énorme chaudière de cuivre. Des tuyaux s’en échappent confusément pour aller s’enfoncer dans le sol, les murs et le plafond. L’homme que je suivais y a planté ses omoplates, le dos tendu, les jambes serrées, les pieds loin devant, son pantalon aux chevilles et son sexe à la main. Sa peau est perlée et elle brille joliment dans la lumière vacillante de la chaudière. Les ombres s’attachent à ses muscles bandés et en soulignent les contours. Lorsqu’il capture mon regard, il se laisse jouir. Mon cœur s’arrête. Au battement suivant, son sexe est englouti dans ma bouche. Il tient ma tête pour le caler au fond de ma gorge, et je réalise comme sa dimension est appropriée. Pas trop long, pas trop large, il tient parfaitement.

Une voix nous interpelle, puis des insultes. Nous ne bougeons pas. Une main dans son dos, un bras entourant ses fesses, une main derrière ma tête, l’autre sur mon bras, nous confirmons notre étreinte. Un homme en contrebas crie sa haine et son dégout. Derrière lui des gens courent. Dans ma position je ne suis pas sûr de ce qui se passe, mais du coin de l’œil j’ai l’impression qu’ils sont appelés à se rassembler.

Mon amant retire son sexe de ma bouche et m’embrasse longuement avant de reprendre sa masturbation. Couverts de cris de haine, d’insultes et d’enfants qui pleurent, je le suce à nouveau, avec tendresse cette fois-ci, donnant assez de temps libre à ma bouche pour prononcer quelques mots.

Il est silencieux lorsque je me plains du chemin qu’il m’a fait prendre. Il reste silencieux lorsque je l’accuse de m’avoir perdu et de m’avoir tendu un piège pour que je le suive. Il reste encore silencieux lorsque je lui reproche de s’être masturbé devant moi. Alors qu’il essuie doucement son sexe sur mes lèvres, il me dit « C’est avec toi que je voulais partager ce chemin. C’est avec toi que j’avais envie de me perde. C’est à toi que j’ai offerts mon sexe. Ne vois-tu pas que nous sommes mariés ? »