Jeudi 29 janvier nous avons eu l’honneur de venir assister à une performance privée de notre artiste préférée A.. A l’heure et au lieu dits, nous nous sommes retrouvés devant la porte du repère, tous excités à l’idée de devoir dire lapin à l’interphone. Nous fûmes surpris de constater que nous n’étions pas les seuls à être arrivés à l’heure. Le message était bien passé. Une foule bigarrée remplissait déjà la petite cour intérieure de l’immeuble. Une mamie permanentée observait de sa fenêtre, l’air intrigué et désorienté, la foule agglutinée près de la porte d’entrée. L’attente se faisait calme et la foule hypnotique exerçait son pouvoir anxiogène sur la permanente de la mamie du premier, qui commençait à défriser et se demandait bien ce qu’il pouvait se passer.
Escaliers. Ascension vers le mystère.
A un pas de basculer à l’intérieur du lieu même de l’action, mamie sortit accompagnée sur le perron, pour nous alpaguer et nous inonder de questions du genre : « Que faites vous ici ? » et sans même entendre la réponse donnée par un anonyme, de nous asséner : « C’est un lieu privé ici ! Vous ne pouvez pas rester ! C’est privé ! ». Explication lui fût donnée que notre venue n’était que passagère, aussi éphémère qu’un regroupement d’étourneaux en automne, et se faisait elle aussi à titre privé dans le cadre d’une performance artistique non publique. Ces mots résonnèrent dans la cage d’escalier comme dans le crâne de mamie, ricochant sur ses pensées alertes, pour finir dans un gouffre de perplexité. Elle referma sa porte et nous nous retrouvâmes seuls face à nos questionnements internes laissés de côté pendant cet instant tragicomique.
Nous avons alors pénétré un couloir sombre et déjà bien plein d’ombres fébriles et d’une musique étrange. D’un côté nous avons pu apercevoir, faute d’avoir eu une croissance suffisante pour surplomber tout le monde, une salle, un homme au chapeau haut de forme et des lapins dont la présence lassait présager bien des merveilles.
Dernière nous s’est alors ouverte une porte, laissant entrer doucement un raie de lumière bleue emplissant petit à petit l’espace pour nous laisser découvrir de jeunes femmes debout, immobiles, dénudées et peintes portant des plats de nourritures sucrées, appétissantes et variées. Forêt féminine étrange et inquiétante tendant ses branches aux visiteurs perdus qui passaient un à un. Le passant fût alors invité par ces formes vivantes à porter les plats dans la pièce suivante. La lumière noire et les peaux phosphorescentes renvoyaient chacun à ses propres rêves, visions phantasmatiques et autres régions délirantes et quelques fois peu avouable de leur psyché camisolée.
Autre pièce, autre ambiance. Lumière blanche et crue. Un corps de femme sensuellement vêtu, chaussé de talons haut et de bas rouges, la tête drapée de jupons, trônait sur une table pleine de verres vides. La pièce se remplit et les plats furent déposés près de l’étrange statue vivante à la tête juponnée qui tenait à la main une théière. Au signal, Armstrong se mit à chanter en boucle. Des acteurs de la scène distribuèrent des parts de nourriture et des verres servis par cette femme étrange. La retenue du public fût rompue et c’est plus détendu qu’il se pressa autour du tableau vivant, ne retenant plus rien, ni rires étouffés, ni commentaires sur l’étrangeté de la situation. La glace était rompue et la performance pu prendre fin autour d’un verre de thé et de gâteaux sucrés comme pour nous réconforter du malaise que provoque un réveil au milieu d’un rêve plein de beauté, mais dérangeant et intrigant, que nous aurions pourtant voulu plus long. Nous sommes partis aussitôt pour ne pas prolonger cet état incertain qui fait le drame des réveils difficiles. La réalité reprenait le dessus, après avoir traversé cet univers lynchien suintant de sensualité, de femmes servantes à la féminité calculée et assumée, de phantasmes, de rêves, d’inconscients ; nous avions fait une excursion dans l’imagination débordante de A..
Alors nous voulions te remercier A. pour cet agréable voyage et te dire que nous sommes prêts pour nous laissez porter par tes prochains débordements artistiques.