Nous étions nombreux à avoir répondu présent à l’appel de la secrète Fraise Vinyl qui avait été relayé sur ce blog, suffisamment pour remplir un bus d’une quarantaine de places. Tels des élus, nous étions fiers, nos parapluies à la main, de participer à cet appel mystérieux et attractif comme un chant de sirènes dans lequel nous avions toute confiance et qui pourtant aurait pu nous mener de Charybde en Scylla. La destination ne serait pas celle-là et nous en étions sûrs. C’est donc plein de doutes et de certitudes que nous nous sommes rendus au lieu-dit et à l’heure dite pour commencer le voyage. Un bus nous attendait et deux jeunes femmes encadraient les portes d’entrée grimées en hôtesses de l’air. Après un rapide check-in, les passagers purent embarquer pour l’inconnu.
Les hôtesses jouèrent leur rôle en indiquant règles et consignes de sécurité à suivre pendant le trajet. Une feuille de papier, avec des symboles inconnus au premier abord, fût remise à chaque participant et tous furent priés d’écrire un mot et de plier le papier comme il le convenait jusqu’à l’obtention d’un petit bateau. Toutes ces embarcations fragiles furent récupérées par les hôtesses à notre sortie du bus.
Arrivé à destination. Petit jardin à traverser avant d’entrer dans le vif du sujet. Sur le qui-vive, nous pénétrâmes une grande bâtisse aux allures de château. Les discussions se firent discrètes.
Au bout du couloir sombre, une première fille muette se tenait debout, une lampe de poche à la main, faisant glisser la lumière sur son corps habillé de vêtements baroques. Le ton était donné.
Une première salle, lumière crue, deux filles, l’une debout le regard perdu, chérissant un canard et l’autre prisonnière d’une bulle de plastique transparent, cherchant une sortie, déchirant l’enveloppe pour respirer. Femme prisonnière, femme corsetée, belle étouffée qui cherche sa liberté.
Deuxième salle, éclairage tamisé. Deux filles nues le corps recouvert de paillettes, lascives sur une table. Entourées de verres pleins d’une mixture crémeuse à la fraise, elles s’embrassaient langoureusement et ne s’arrêtaient de se lover que pour distribuer les verres aux invités, voyeurs interdits de leur intimité. Une chanteuse lyrique distillait une mélopée enveloppante de douceur tandis que les nymphes continuaient leurs tendres faveurs et le public goûtait avec ferveur aux douceurs sucrées qui lui étaient servies dans les verres. Femmes libérées, serviles et assumées.
Troisième salle, une véranda pleine de ballons blancs, une femme dans une cage de plastique admirant les petits bateaux de papier blanc suspendus, que nous avions pliés dans le bus et nous échouons dans un jardin accompagnés d’une mer de ballon. Femme esthétique passive ou pensive, muette délibérée ou désespérée.
Une fois rassemblé dans le jardin, le public fût invité en entrée à écouter un petit concert lyrique et à se rafraîchir d’une sucette en forme de cœur au gingembre et au piment d’Espelette. Un peu plus loin quatre filles nous attendaient sagement assises sur des balançoires accrochées à des arbres majestueux. A la main, elles tenaient un arrosoir et distillaient à qui le voulait de l’eau agrémentée de sirop aux goûts différents. C’est là que les parapluies étaient utiles.
Nous avons pu ensuite nous vautrer sur des coussins et couvertures disposés dans l’herbe et assister en plat principal à un concert excellent de Fragile Architecture associé à un velouté d’asperge et sa noix de Saint-Jacques puis en dessert un mix original de Dark Side of the Funk accompagné d’une banane au chocolat et d’une délicieuse mousse au gingembre.
Puis il fût l’heure de partir, le bus nous attendait. Retour à Toulouse avec un goût amer, dégrisés comme après une petite mort.
Alors MERCI Fraise Vinyl pour ce voyage allégorique au coeur d’un appareil (re)productif féminin : au départ les ovaires dont quelque chose veut sortir puis l’utérus où l’amour se fixe, enfin le vagin et l’accouchement de la vie qui poursuit son cours au jardin des délices et de l’envie.
Encore une fois nous fûmes transportés dans un univers au goût de rêve et de fantasme où des naïades nous servent de nourriture esthétique. Étrange sensation, comme l’impression d’avoir croqué dans une fraise au vinyle, d’avoir basculé comme Alice dans un pays de merveilles, dans un rêve éveillé, d’avoir pris du LSD, de pénétrer l’inconscient d’une artiste passionnée.