Tout a commencé le jour où la fabrique de gode de la ville avait explosé au début des années 2000. Certaines des Vipères se connaissaient déjà et les autres vivaient leur vie de façon anodine. Ils ne savaient pas encore que leurs destins allaient changer de manière radicale. Notwin Pinktown était une ville où il faisait bon vivre. Les journées étaient toujours ensoleillées et il ne pleuvait que quand il était prévu, pour pouvoir nourrir suffisamment la végétation. Le climat étant propice, aux abords de la cité avait poussé une usine à gode en plein sur un nœud de courants telluriques. Elle n’était pas arrivée là par hasard. Qu’elle ait poussé à cet emplacement permettait à la ville de laisser l’énergie terrestre tourbillonner au dessous d’elle et ainsi créer le climat propice à des soirées mouvementées et toujours réussies.
La fabrique avait grandi très vite et avait pris partie de se diversifier dans la production d’accessoires sexy. Paillettes, fouets, tenues de vinyle, fard à paupières et beaucoup d’autres inventions tenues secrètes étaient produites dans ses ateliers. Grâce à elle, la ville vivait bien. Reconnue d’utilité publique, les habitants choyaient cette source de joies sexuelles et lui vouait un culte sans borne. Ceux qui avaient la chance d’y travailler bénéficiaient d’un statut particulier qui leur assurait portes ouvertes à toutes les soirées publiques ou privées. Néanmoins, les gens s’endormirent sur leurs lauriers roses et négligèrent un peu trop la protection qu’il devait apporter à l’usine. Ils oublièrent petit à petit que le danger pouvait venir du ciel, la dernière attaque remontant à trop longtemps pour qu’ils s’en souviennent.
Pourtant, un jour ensoleillé de septembre, vers 8h52 du matin, un nuage de mauvais goût se forma dans la stratosphère au dessus du site. Il grossit, grossit et un éclair translucide, comme un flash électrique qui peut tuer, tomba à la vitesse de la lumière en plein sur les stocks de matière de l’usine et mis en route une réaction en chaîne. La chimie prenant son temps, il fallu attendre 10h21 pour que l’explosion eût lieu. Les stocks de godes, paillettes, fouets, tenues de vinyle, fard à paupières et toutes les autres inventions tenues secrètes furent projetés dans les airs en une colonne de fumée rose un peu comme l’éruption d’un volcan en manque d’activité ou comme l’orgasme d’un éjaculateur précoce qui n’aurait pas jouit depuis des années. La secousse sismique fût ressentie par le monde entier avec plus ou moins d’intensité.
Les habitants de la ville cessèrent leurs activités, étonnés par l’explosion. Certains étaient tétanisés dans leurs voitures, stoppés en pleine course. Les moins bien lotis au niveau de l’audition continuaient à faire leur marché en choisissant avec soin les tomates qu’ils allaient manger à midi, pensant que l’orage grondait et qu’il fallait rentrer avant la pluie qui n’était pourtant pas prévue aujourd’hui. Après quelques secondes d’étonnement, les gens inquiets coururent chercher des masques de protection dans les cliniques alentours. Le nuage rose qui survolait la ville ne présageait rien de bon. La panique prit réellement le dessus quand ils découvrirent l’ampleur de la catastrophe et ses premières victimes.
Certains avaient des godes plantés dans tous les orifices et gisaient exténués sur les trottoirs dans des postures obscènes. D’autres furent transformés en boule disco à cause de la nuée ardente de paillettes provoquée par l’explosion.Des fouets devenus vivants pourchassaient leurs victimes les frappant sur les parties les plus charnues de leur anatomie.
Une octogénaire mourut en connaissant son premier orgasme avec Magnum, le dernier modèle de gode XXXL, nouvelle génération autolubrifiante.
Une famille entière de touristes néerlandais qui trouvait ces réjouissances un peu étranges et ne comprenait définitivement rien aux rites des autochtones, fut adoptée à vie par des combinaisons de latex et de vinyle.
Un skinhead prit son pied en se retrouvant travestit en Dalida avec un buttplug doré Giga + bien implanté, de la série extra 69, modèle avec plume d’autruche bleue du Kazakstan.
Une pétasse s’enflamma au contact d’un démaquillant nouvelle génération qui n’avait pas encore été testé. Elle maudit le ciel de ne pas lui avoir laissé le temps de s’acheter le string en peau de vison Louis Vuiccon dont elle rêvait tant. Elle eut cependant le temps de décider de hanter la boutique la plus proche.
Un policier d’âge et de taille moyenne qui se prénommait H. et qui avait une calvitie qu’il tentait de cacher sous sa casquette, fut projeté aux grilles d’un parc public pieds et poings menottés aux barrières. Il découvrît alors l’amour avec un anus artificiel qui était, ma fois finalement bien moins désobligeant qu’une femelle.
Un groupe d’homosexuels cambrés, en plein shopping, fut pourchassé par des poupées gonflables avides de sexe jusque dans les catacombes de la ville où ils furent abusés. Ils découvrirent avec horreur qu’ils y prenaient plaisir et moururent de satisfaction. On les retrouva quelques jours plus tard complètement vidés, desséchés, momifiés dans une étreinte fatale avec des Cyndie de la série 5678, le modèle avec un clito transformable en phallus, le regard vide, une expression étrange crispée sur leur visage androgyne.
Le nuage rose descendit sur la ville et se désintégra en une pluie de paillettes irradiées de poppers. Ce fut le clou de la catastrophe. Sous l’effet du poppers qui emplissait l’air, des partouzes se créèrent instantanément. Métro, maisons de retraite, chantiers de construction, lycées, assemblée de parlementaires… se transformèrent en lieux d’orgies qu’aucun film X ne pourra jamais égaler. Rivière de foutre, lac de cyprine, plus rien à foutre de la discipline.
La ville jouit.
Les gens décidèrent d’oublier rapidement qu’ils s’étaient réveillés comme au lendemain d’une trop grosse cuite, dans des positions bien étranges avec quelques fois des surprises à leurs côtés, un voisin, une voisine, une prostituée retraitée ou l’inverse, un chien, un cochon d’inde, un poisson rouge, un concombre, un flic… Autant d’images insupportables pour le psychisme humain qui, pour faire face au traumatisme qu’il venait de subir, devait refouler tout ça vite fait bien fait au fin fond de l’inconscient de chacun. Certains devinrent fous et des fous devinrent sains.
A part le groupe d’homosexuels momifiés et la pétasse enflammée, la plupart de ceux qui succombèrent à cet accident étaient cardiaques et les autopsies révèleraient plus tard qu’ils avaient succombé à l’orgasme ultime de leurs vies.
Sans que personne ne se doute de rien, la petite mort allait être bien plus grande qu’on ne voulait le croire.
La végétation devint en partie vénéneuse et décida de pousser dorénavant comme bon lui semblait. Les plantes d’intérieur s’échappèrent des appartements pour se planter où elles le voulaient. Elles ne supportaient plus leur servitude. Certaines décidèrent même de devenir mangeuses d’hommes. Mutation génétique, une nouvelle espèce végétale brillante prit naissance à un endroit secret. Personne ne se douta de son existence ni de son importance. Les pigeons devinrent carnivores et ne purent plus voler. Grosses poules aux dents acérées, il fallait désormais s’en méfier.
Le cercle de courants telluriques était brisé et la ville s’était vidée de son énergie libidinale créatrice comme une giclée de sperme. Les immeubles perdirent de la couleur, la ville dégrisée s’engrisait. Elle portait des cernes et aucun remède n’y fit. Elle devenait terne et sèche comme des cheveux cassants et fourchus.
Elle devait maintenant panser ses plaies multiples. Les cabinets de gynécologie et de proctologie étant débordés, des renforts furent appelés. Des spécialistes du monde entier vinrent au secours des blessés.
On repeint les murs en rose mais en quelques heures ils redevinrent gris. La peinture se laissait couler, refusait d’adhérer à cette idée. Elle ne voulait pas être associé à ça. Seul le soleil à son couché pouvait révéler à qui voulait le voir, un idée de la beauté désormais fanée de la ville blessée.
Rien ne serait plus jamais pareil.
Le souffle de l’explosion avait projeté des molécules d’une substance non identifiée très haut dans le ciel. En passant dans l’exosphère, elle fusionna avec des particules provenant du vent solaire qui modifièrent sa composition chimique. Sous forme de paillettes lumineuses, elle retomba au hasard (?) sur quelques êtres appelés à se retrouver, même si certains habitaient dans d’autres contrées. Ils étaient les élus et bientôt leurs vies changeraient.
Chaque membre de ce qui allait devenir les Vipères reçut une particule étoilée. Elle vint se poser délicatement sur leur peau sans qu’ils ne s’en aperçoivent et pénétrer leur organisme instantanément. Sur l’instant, ils ne ressentirent presque rien, à peine un léger picotement mais déjà leur biologie intérieure changeait. C’est pendant la nuit que se fit ressentir les premiers effets. Muscles, nerfs, viscères s’électrisèrent. Leurs organes s’oxygénèrent en se gonflant de sang de façon anormale optimisant leurs capacités. Les réseaux de neurones se modifièrent et de nouvelles connections apparurent ouvrant des espaces synaptiques inconnus. Ils vécurent cette nuit là et chacun dans leur lit respectif, une métamorphose comparable à une adolescence accélérée. Le processus de maturation de chaque cellule de leurs corps les mena vers un état supérieur. Leur anatomie devint un peu plus qu’humaine. Le processus resta inconscient. Ils ne gardèrent que le souvenir vague d’une nuit agitée. Au réveil, le monde autour d’eux avait changé. Ils pouvaient voir les choses avec un œil neuf. Comme après une opération de la myopie, tout devint net.
Ils se levèrent tous avec une incommensurable envie de baiser. Ils étaient possédés par une énergie sexuelle nouvelle qui faisait battre leur sang très fort. Ils avaient besoin de jouir immédiatement.
L’orgasme acheva la métamorphose.
La vie reprit son cours et le temps passa. La ville était condamnée par la force molle à rester morne. Comme une victime souffrant du syndrome de Stockholm, les gens y vivant n’arrivaient pas à s’en détacher. Certains s’évertuaient cependant à organiser des fêtes, seul moyen pour lutter contre la décrépitude, mais ils mourraient généralement d’épuisement. La résistance naissait.
C’est dans ce contexte insatisfaisant et plein de frustrations que les membres des Vipères découvrirent leurs pouvoirs. Ce fût une nouvelle naissance pour chacun d’eux. Le lendemain de la catastrophe, ils avaient perçu que quelque chose avait changé en eux mais ils ne pouvaient mettre le doigt dessus. Ils avaient le souvenir du même rêve où une pluie de paillette tombait sur une foule démente sur fond d’Electrofuck music.
Pendant le jour, ils étaient comme n’importe quel individu de Notwin Pinktown et leur quotidien n’avait pas grand intérêt, mais la nuit l’ennui disparaissait en leur compagnie. Leurs doubles prenaient vie au fur et à mesure que le jour déclinait. Ils changèrent d’identité et en prirent des nouvelles plus en rapport avec leurs personnalités toutes neuves. Asthik, Cyprin, l’homoover, Elleair, Herr.Ektor, Pseudo.Me, Puttygirl, Seliba, Sexysperma... naquirent.