Les mains tremblantes j’ouvre la porte le plus discrètement possible.
Très vite je suis saisie par un fil frais qui me glace le cou. Les chuchotements, les hurlements se font plus distincts. Je reconnais deux voix sans pouvoir clairement les identifier.
Quelqu’un hurle « nan laisse moi ! nan… »
L’autre personne « pense à Gipsy, pense à lui »
Je me fige à l’orée de cette porte qui ouvre sur une autre porte fermée depuis des mois, depuis que j’ai décidée de m’installer aux Coquelicots.
La voix hurle comme une vieille femme gitane qui a perdue son enfant. Puis des pleurs. Elle est cloîtrée dans son appartement et hurle derrière la cloison.
L’autre est sur le palier, un étage en dessous du mien, à son ton débonnaire, je reconnais Rosine du premier, femme seule et alcoolique qui n’a gardé de féminin que son prénom. Rosine. Ah Rosine comme le stigmate du seul amant qui lui reste : sa bouteille de rosée. Je reconnais sous les cris brisés la tessiture de Ruth : (deuxième droite) qui n’a de femme que ces restes de rêves.
Les voix et les pleurs s’éteignent. Je referme la forme ne pouvant empêcher le grincement rouillé des gonds endormis.
Ce n’est que le lendemain que j’apprendrais la cause de cette étrange échange de pallier en croisant Ruth vers l’ascenseur qui devait enfin m’arracher à cette rude journée. Je la vis. En larme. Eu égard à mon métier de moniale je ne pu la laisser seule. Elle m’apprit le drame :
La veille, son chien a assassiné un de ces congénères. Là. Devant Les Coquelicots. Le prenant au collet avec ses dents acérées qui n’ont cédées que sous le poids du vaincu. Du sang répandu sur le bitume comme unique trace d’un massacre commis devant Les Coquelicots un soir de février 2010.
La mort rôde chaque soir. Les persiennes se ferment dès le premier clignement d’œil du soleil.
Depuis plus rien n’a jamais été pareil aux Coquelicots.
Morale : S’il ne se passe rien dans ta vie, raconte celle de tes voisins.