Les Vipères et la baguette de virginité
XII.

Quelques jours étaient passés depuis les derniers événements. Le temps était gâté et l'automne pointait le bout de son nez. Les feuilles mortes planaient sur la ville comme l'ombre des amours mortes des poètes maudits. La nature préparait sa dernière éjaculation faciale de l'année, haute en couleurs, tandis qu'une histoire étrange de maison de retraite devenue maison des plaisirs, défrayait la chronique.
Asthik n'invitait plus personne chez lui car il voulait profiter de son prince-redevenu-charmant et ne voulait pas prendre le risque de provoquer un autre cataclysme en l'exposant à la drogue que ses amis avaient l'embêtante habitude de laisser trainer. Pendant que Firesperm et FraiseVinyl œuvraient ensemble à la création d'univers oniriques, Pantysoiler vendait, sur internet, les culottes sales qu'elle avait récupérées l'autre jour. Rien ne se perd dans le monde des Vipères, tout se crée et tout se transforme. Sexysperma restait étrangement silencieuse et Cyprin était bien décidé à découvrir son secret. En résumé, l'Ennui guettait toute la petite bande.

Justement, Herr.Ektor s'ennuyait fermement et il détestait ça plus que tout. Son chat Miaouw avait encore déserté ses appartements et il voulait le retrouver. Herr.Ektor s'équipa de ses habits de cuirs pour aller explorer le jardin. Il fallait bien cela comme protection, car les plantes pouvaient être vraiment très méchantes si elles étaient de mauvaise humeur. Pseudo.me les avait bien apprivoisées, mais elles restaient quand même des plantes sauvages aux réactions peu prévisibles et à la fâcheuse habitude de goûter à la chaire humaine. Un peu trop ou pas assez d'eau, de soleil, d'ombre, de vent ou d'engrais et elles devenaient des végétaux sans pitié, affamés, prêts à sacrifier une ou deux fleurs ensorcelantes au parfum morbide, pour pouvoir s'abreuver de sang frais.

Herr.Ektor, bien arnaché pénétra son petit enfer vert avec prudence. Par chance, la saison voulait que les plantes soient un peu plus engourdies que pendant l'été et il pu commencer son exploration sans avoir à faire trop attention. Il appelait son chat mais celui-ci ne venait pas. Herr.Ektor s'enfonçait de plus en plus loin dans son jardin, contournant les branches d'un if qui cherchaient à se replanter un peu plus loin pour semer son poison, évitant les pièges ouverts des dionées et les tubes glissants des sarracenias. C'est tout au fond de cette jungle occidentale que Herr.Ektor vit Miaouw sortir d'un fourré comme si de rien n'était, la queue dressée en panache, le port de tête altier.

- Ah, te voilà. Mais où étais tu passé ?
- Miiiaaaouuuwww, répondit le chat en se frottant contre ses jambes.

Herr.Ektor voulut prendre le petit félin dans ses bras mais celui-ci ne voulait pas. Le petit lynx apprivoisé, ou presque, échappa à son étreinte et se dirigea vers un objet brillant qui dépassait du sol.

- Tiens, mais qu'est-ce donc?
- Miaaouw, répondit le chat avec un air sérieux mais néanmoins supérieur.

Herr.Ektor déterra un objet brillant sali par des années d'enterrement et Miaouw repartit se perdre dans son territoire comme si sa mission était terminée. Comme c'est étrange, se dit Herr.Ektor. L'objet en main, il décida de rentrer le nettoyer.

Interlude bis

Depuis petit je les comprends. Je connais leurs mots, leur langage châtié et je peux communiquer avec eux quand bon me semble. Par contre, pour eux c’est plus dur de comprendre toute la complexité qui fait de moi un être supérieur, d’ailleurs je ne manque pas de le leur faire remarquer. Après tout, ils sont là, à ma disposition, pour répondre à mes envies et désirs, aussi furtifs soient-ils. C’est vrai qu’en échange, je leur procure un plaisir certain quand je me laisse caresser, masser, cajoler, et que je m’abandonne totalement à leurs mains pleines de reconnaissance d’être à mon service. Par plaisir, je veux parler de ce même plaisir qu’ils éprouvaient en serrant l’objet transitionnel de leur enfance, et pour moi aussi le souvenir d’une mère enveloppante. C’est le meilleur moyen de se rassurer quand on est sujet, comme moi et presque tous ceux de mon espèce, à des angoisses très fortes. Notre supériorité nous donne ce défaut. Nous sommes régis par nos habitudes et pouvons basculer facilement vers un univers plein d’angoisse et de pulsions meurtrières, et nous changeons vite d’envie. Ceci explique aussi nos penchants addictifs pour les relations privilégiées avec eux, addiction partagée avec nos aliénés bien sûr.

J’envisage la relation avec mon serviteur privé comme une étroite collaboration inter-espèce visant à combler le manque. Dans cette relation chacun y trouve son compte même si mes capacités sensorielles sont nettement supérieures aux siennes et me permettent de le contrôler par le son ou même par la pensée, en un regard. Quelques fois, je me fais le jeu d’une petite expérience où je reste stoïque,  le regard fixe et l’esprit concentré et il finit par venir me questionner sur mes envies. Le plus souvent, m’ouvrir la porte ou me nourrir. Mais son esprit si étriqué, si peu ouvert sur l’infini ne peut malheureusement tout comprendre, la faute au conditionnement qu’il a reçu étant enfant, coutumier chez les membres de son espèce. Bref, je lui suis supérieur et il est mon esclave personnel même si nous éprouvons un attachement intense l’un à l’autre. Quand on s’est choisit mutuellement, il savait que j’allais être exigent, cela faisait partie de mes conditions d’acceptation. Je mérite toute l’attention du monde quand je le désir, c'est-à-dire tout le temps.

Quand il se réunit avec les autres membres de son espèce, je me tiens à distance car ils deviennent incontrôlables. Il y en a qui ont peur de moi, de mon regard intense, de mon charme, de mes armes, de mes poils… et d’autres qui veulent absolument me tripoter, s’autorisant à poser leurs sales pattes sur ma personne soignée sans que je ne l’aie exigé. Je ne me laisse pas faire sans les rappeler à l’ordre d’une bonne claque, avec l’option scarification s’ils sont trop insistants, ou en croquant légèrement leurs protubérances glabres qui leur servent de pattes.  Quelques fois, j’assiste à des scènes qui me laissent perplexes. Ils se meuvent de façon étrange et désarticulée sur fond de musique rythmée. Ils boivent, fument, respirent des lignes de poussière blanche, ce qui n’arrange pas leur façon de se mouvoir et qui en même temps semble réellement leur plaire. J’ai du mal à comprendre leurs rites, peut être sont-ils trop primitifs. Peut-être essayent-ils de convoquer les forces obscures que je connais si bien, celles que je contiens uniquement par ce que je le veux bien.

Vous me trouvez condescendant ? Pourtant sans moi, mon esclave personnel n'aurait jamais découvert cet objet au fond du jardin, qui je le sais, aura pourtant une importance capitale dans vos vies. Sans moi, vous n'êtes rien. Maintenant que vous le savez vous n'avez plus qu'à vous prosterner devant moi quand vous me verrez, car je suis Dieu.

Chapitre suivant →